9 mois ferme. Je donne naissance à mon nouvel avatar, un avatar réel cette fois-ci. Celui qui ne ment pas, mais qui a dû voir la vérité, l’accepter, et travailler pour l’améliorer. 9 mois sans écran, sans validation, échange, trend, topics et commentaire. 9 mois d’écoute, de doutes, de solitude. En commençant actuellement une nouvelle relation, je me suis entendu dire à l’élu, (a celui qui acceptait de me voir deux fois d'affilée) “je fuis toutes relations toxiques, depuis que je n’ai plus les réseaux.” Ce à quoi il m’a répondu: “tu sais parfois c’est avec nous-mêmes qu’on est le plus toxique” silence. L’addition s’il vous plaît.
Je suis rentré chez moi ce début de soirée là, en passant par la rue du Sans Soucis. Je me suis souvenu de toutes ces soirées qui commençaient là-bas et de toutes ces fins de nuit que je voulais prometteuses mais qui se terminaient toujours avec un paracetamol le lendemain. Sur la vitre en dessous du néon jaune, un écriteau rouge en lettre capitale: fermeture définitive. Une pensée émue aux souvenirs d’un début de jeunesse dans les nuits parisiennes. Un souvenir moqueur de ces attitudes que j’adoptais pour me sentir dans le coup. Le Sans Soucis comme mot d’ordre à ma désinvolture et à mon besoin de briller en société malgré toute la noirceur de mon parcours. Je repensais aux mots de ce nouveau Jules, et je ne pouvais pas m’empêcher de penser que j’étais peut-être le souci. Celui qui remet sans cesse la faute sur les autres, sur son époque, sur son homosexualité, sur une excuse plutôt que de réaliser que j’étais moi-même la raison.
“Pendant tout ce suicide social digital dans lequel j’ai retrouvé mes esprits, mon temps et ma tête, j’ai eu comme un besoin parallèle de me comprendre. De prendre le temps de me connaître un peu mieux.”
En 2023, on dit souvent que l’autre est toxique. Les magazines nous disent que c’est le patriarcat, qu’il faut se méfier du brun ténébreux et les films français adorent faire pleurer ces héros dans des scènes où on filme en gros plan la morve sur un visage rougi de larmes, avec des cris d’amour sur de la musique indé. Mais ce que l’on a tendance à oublier c’est que l’on est le résultat d’une éducation familiale et sociale.
On est tous amenés à être toxique pour l’autre, mais sans le savoir, avant tout pour nous-mêmes. Pendant tout ce suicide social digital dans lequel j’ai retrouvé mes esprits, mon temps et ma tête, j’ai eu comme un besoin parallèle de me comprendre. De prendre le temps de me connaître un peu mieux. De revenir en arrière sur des moments de ma vie que j’avais mis de côté pour les oublier. Sans le savoir, mes soucis étaient si vite oubliés que je les reproduisais sans cesse. Habitué des coups d’un soir, de l’ivresse dansante et des excès nocturnes, j’ai cherché pendant longtemps la fuite de ma propre existence, trouvant toujours une bonne excuse pour ne pas culpabiliser ou chercher à comprendre les situations de la veille. J’ai décidé de mener moi-même ma propre thérapie, et de faire entendre ma voix de celui que j’avais été face à des personnes qui m’ont toujours répété : arrête de faire du drame .
La première chose pour comprendre cette notion de drame, c’est de revenir à l’essence et là définition même du mot. Drame : Genre théâtral comportant des pièces dont l'action généralement tragique, pathétique, s'accompagne d'éléments réalistes, familiers, comiques. J’ai toujours été très friand de théâtre, de cinéma, des personnages haut en émotions. J’ai construit mon identité et ma personne à travers les représentations que offraient Megaupload et la télécommande de ma télévision. Des soaps opera autour du même thème : la construction identitaire au sein d’un groupe de personnes (plus vulgairement nommé : l’adolescence). Je me suis rêvé Buffy, Dawson, Seth, Peyton, Brenda, Effy… des personnages qui comprenait les problématiques que j’avais. Des filles, des garçons.
Ma personnification envers eux n’était ni genrée, ni sexualisée. Simplement copiée après les avoirs regardés. La réalité était biaisée par ce prisme télévisuel. Chaque moment de ma vie devait dès lors ressembler à une scène. J’ai intégré cette notion de mise en scène très tôt dans mon rythme de vie.
Il y a quelques jours, j'ai décidé d’organiser un dîner avec des anciennes camarades de lycée. Je ne les avais pas vu depuis 12 ans. A leurs tables, mes premières minutes étaient maladroites, remplies de tendresse mais aussi de malaise. Qu’est-ce qu'on a ce dire quand on a passé la moitié de sa vie sans se voir? Nos souvenirs du lycée ont vite été le sujet de nos débats. En discutant avec elles, je réalisais qu’on avait vieilli, mais que contrairement à elles, je n’avais pas avancé sur certaines problématiques. Notamment ma situation personnelle. “Et toi Clément, tu as rencontré quelqu’un?” Des quelqu’un j’en ai connu, des personnes jamais. Une minute de silence plus tard, mon premier drame était là devant moi : je n’ai jamais dit aux gens que j’étais gay, car ils l’avaient toujours décidé qu’il en était ainsi.
“Je fais partie d’une génération à qui on a fait croire que Steevy Boulay était amoureux de Loana.”
Bientôt trentenaire, j’ai laissé pendant 3 décennies les gens me définir, sans pouvoir me défendre. Je n’avais à l’époque aucune représentations derrière lesquelles me réfugier, c’est sans filet de secours, en devant composer avec ce que je pouvais que, j’ai très vite dû m’assumer sur quelque chose d’intime que je ne connaissais finalement pas. Aujourd’hui les soaps drama opéra sont des moteurs qui font avancer les sociétés. Les représentations LGBTQIA sont devenues normales et les adolescents sont éduqués au sujet du genre. Je fais partie d’une génération à qui on a fait croire que Steevy Boulay était amoureux de Loana.
En prenant le train récemment, je me suis retrouvé coincé en face à face avec un de mes premiers amants. 1h49 à être obligé de prendre du temps pour faire le point sur nos vies respectives.
“Tu as quelqu’un?” Toujours cette question, comme si les gens se sentaient rassurés par la réponse. Je répondis négativement, et j’ai vu dans son regard une sorte de “merde en même temps… ça m’étonne pas”. J'ai profité du malaise pour lui demander pourquoi il m’avait effacé du jour au lendemain. “Tu étais trop intense, j’avais peur de pas te combler”.
Pourtant c’était bien dans mes bras qu’il me disait être bien, c’était bien dans mes draps qu’il embrassait la fièvre de nos corps, c’était bien mes paumes qu’il embrassait pour se rassurer. De toute manière, ma voyante m’a confirmé que c’était un con. Ce retour au bercail était long et sa vision était pénible, pourtant je m’interrogeais sur cette notion de peur.
“La vie intense est devenue une normalité. On ment sur qui nous sommes pour être admiré. On abuse et on s’abîme d’excès pour être la meilleure version de nous-mêmes.”
Finalement, on a tous et toute peur de ce qu’on est, ce qu’on devient et ce que l’on cherche à oublier. Dans l’essai philosophique de Tristan Garcia, l’auteur s’interroge sur notre obsession moderne, et fait le constat qu’aujourd’hui, vivre intensément est une éthique largement partagée au sein de l’humanité. Et vivre intensément, ce n’est pas vivre tièdement (car être tiède est assimilé à de l’embourgeoisement) mais vivre dans les extrêmes de l’intensité. L'intensité devient un idéal ordinaire pour l'homme et un concept savant de philosophie, de l'excitation nerveuse des libertins à l'adrénaline du désir, de la performance et des sports extrêmes. Cette notion de performance s’inscrit du champ lexical du théâtre. La peur comme moteur. La vie intense est devenue une normalité. On ment sur qui nous sommes pour être admiré. On abuse et on s’abîme d’excès pour être la meilleure version de nous-mêmes.
Cette detox digitale, m’a permis d’ouvrir à nouveau la parole et de faire entendre enfin ma voix, a ceux et celles qui ont jugé facile de me cataloguer par une image faussée de moi plutôt que d’essayer de m.écouter. La différence est une force, l’intensité est une promesse d’émotions. Le drame est de ne pas accepter que ce ne soient pas les autres qui sont toxiques mais que c’est nous-mêmes qui le devenons à cause du refoulement de nos peurs. Aujourd’hui je n’ai pas quelqu’un mais je deviens une meilleure personne. Mes peurs me font exister.
Clément
Toujours aussi franc, émouvant, et pertinent. :)